Sonia Rykiel, un artiste conceptuel

Publié le par Maurizio Rofrano

L'essor de l'art conceptuel en tant qu'expression artistique à part entière coïncide avec l'ouverture de la première boutique de Sonia Rykiel à Saint-Germain-des-Prés en 1968. Le mouvement conceptuel se donne comme principe de déplacer la valeur artistique de l'œuvre finie vers l'idée. Sol LeWitt résume l'enjeu en affirmant que ce qui compte désormais ce n'est plus la réalisation mais la proposition initiale; à d'autres, s'ils le souhaitent, d'en assurer l'exécution. Assujettissement philosophique, c'est l'art comme cosa mentale de Léonard de Vinci. Comme Marcel Duchamp au début du XXe siècle déjà, cette mise en question de l'objet artistique traditionnel a permis l’ouverture du champ artistique à une panoplie de nouvelles formes d'expression.

Le travail de Sonia Rykiel participe à une nouvelle vague de libération du corps de la femme en développant un certain nombre de concepts dont le plus célèbre est sans doute la "démode". Aussi, a-t-elle mis en place, décliné au fil des collections, un vocabulaire esthétique composé de rayures, strass, dentelle, couleur noire, ainsi que de mots imprimés. Le recours au verbe directement posé sur les vêtements, ou par le biais des nombreux ouvrages qu'elle a publiés en parallèle à son travail de créatrice, la rapprochent directement de la pratique de certains artistes conceptuels. Sensible à la cause des femmes, dans un monde dominé par des hommes qui ne leur ont pas encore fait tout leur place, elle a dessiné dans ses débuts, des pantalons avec des poches sur le devant dans lesquelles elles pouvaient cacher, selon ses propres mots, leurs poings fermés. D'autre part, elle a remis au goût du jour les pulls tricotés, autrefois occupation de la femme au foyer par excellence, en réduisant leur longueur ainsi que leur la taille pour mieux mettre en valeur le corps et les courbes de celles qui les portent. De manière plus générale, il est possible de tisser des parallèles entre la conception que se fait Sonia Rykiel de la femme et la démarche artistique suivie par l'art conceptuel en tant que tel. Chaque femme doit être libre de choisir son identité féminine. Le rôle des vêtements n'est pas de fournir un modèle tout fait dans lequel on se glisserait, mais au contraire, ils doivent être au service de cette identité pour mieux la mettre en valeur. Le créateur ne fait que fournir un concept, à chacune le soin de le faire vivre en leur donnant un aboutissement individuel. La mode Rykiel devient un outil qui permet à celle qui la porte de mieux se réaliser. Grâce au concept de "démode", la femme est libérée de la tyrannie des tendances et de la rupture qui l'oblige à s'adapter à chaque saison. Libre de son expression, la femme Rykiel évolue en harmonie avec ses vêtements ainsi qu'avec le temps qui passe. Avec l'ensemble de son œuvre, Sonia Rykiel a participé à la formation d’un éclectisme du goût et des styles à proprement parler contemporains qui laissent une large part à l'expression personelle.


De manière plus générale, on peut dire que depuis l’ère du prêt-à-porter généralisé
(courant années 60) le fonctionnement même des maisons de couture a quelque chose de conceptuel et notamment via le « made in… ». La maison élabore un modèle initial, choisit le tissu, mais la réalisation finale de la série est confiée aux soins d’une usine textile située le plus souvent à l’étranger. Le fait de faire produire un vêtement par un tiers ne change rien à la proposition d’origine. Cette séparation entre artistique et technique correspond exactement à la dialectique de l’art conceptuel entre idée et exécution. Encore une fois, la mode, comme l’art, cueille l’air du temps en la traduisant dans son propre langage.

Publié dans Culture Mode

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